Marguerite Yourcenar

Textes lus par Marie-Sophie Ferdane (Comédie française)
et commentés par Anne-Yvonne Julien (Université de Poitiers)

Ecole Normale Supérieure Ulm - 2013/2014
Conférence organisée par Delphine Meunier, Béatrice Devevey et Anne Duguet

Illustration : Marguerite Yourcenar en 1982, Bernhard De Grendel, CC BY-SA 4.0, Wikipedia Commons : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=54862090

Lien Savoirs : http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=1955

Présentation de la conférence


Auteure prolixe et première femme à entrer à l'Académie française, Marguerite Yourcenar (1903-1987) a laissé une œuvre très étudiée qui suscite de nombreuses lectures différentes. Parmi les auteurs du XXème siècle elle se démarque notamment par son goût de l'érudition et de l'Antique, incarné par le célèbre roman Les mémoires d'Hadrien. Pour Anne-Yvonne Julien, professeure à l’Université de Poitiers, cette érudition est le support de l'exploration constante des formes possibles du récit de soi. Dans cette quête qui prend son origine dans la culture de soi du IIème siècle latin, Marguerite Yourcenar a successivement traversé trois grandes périodes, en s'intéressant d'abord au rapport entre corps et âme, puis en explorant les ressources du mythe, avant de faire de l'Histoire le grand révélateur des destinées individuelles.

Première période - La question du corps

Si elle a déjà écrit (notamment de la poésie) auparavant, c'est Alexis ou le Traité du vain combat qui rend Marguerite Yourcenar célèbre. Ce roman semble classique dans le contexte de l’époque, car Yourcenar, à l'instar de ses contemporains Michel Leiris ou Nathalie Sarraute, fait des schémas freudiens la base de sa démarche littéraire. Le récit consacre ainsi la primauté de la raison du corps et annule la dualité corps/âme alors qu'Alexis, dans une longue lettre à sa femme, avoue son homosexualité (final d'Alexis à 41:50).

Au cours de cette période, Yourcenar rejoint la tradition littéraire du regard intérieur, dans laquelle s'inscrivent les romans d'analyse de Mme de Lafayette, par exemple, ou l’égotisme à la Stendhal. Le terme d'égotisme, forgé par Stendhal pour désigner l'attitude réflexive adoptée par un auteur qui se penche sur sa propre vie, s'impose après la parution des Souvenirs d’égotisme. Inachevée, cette œuvre autobiographique raconte la vie de Stendhal à Paris après la chute de Napoléon, de 1821 à 1830.

> Pour aller plus loin, lire la page consacrée à « La littérature de l'intimité » sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/essentiels/repere/ecriture-soi

Si André Gide fonctionne comme une caution littéraire qui justifie le travail sur l'égarement des sens, c'est surtout le poète Rainer Maria Rilke et ses Cahiers de Malte Laurids Brigge qui se rapproche le plus de la démarche de Yourcenar pendant cette période. Dans ce roman à la forme fragmentaire, Rilke met en scène un personnage qui lui ressemble et cherche à révéler l'identité profonde à travers l'archéologie de ses souvenirs. La proximité formelle entre ce journal intime et la lettre-confession d'Alexis est ainsi doublée par une proximité thématique, celle de la quête de l'identité individuelle à travers le personnage romanesque.

> Pour aller plus loin : lire l'article de L. Faivre, « L’expérience de la limite chez Rainer Maria Rilke : "Les Carnets de Malte Laurids Brigge" » : http://cle.ens-lyon.fr/allemand/litterature/mouvements-et-genres-litteraires/tournant-du-xxe/l-experience-de-la-limite-chez-rainer-maria-rilke-les-carnets-de-malte-laurids-brigge-

Deuxième période - « Les années grecques »

Le tournant des années 1930 est marqué, dans la vie intime de Marguerite Yourcenar, par une crise passionnelle suivie d'un voyage en Grèce. Ces retrouvailles enchantées avec un pays aimé associé à l'enfance et avec l'Antiquité se traduisent dans l’œuvre littéraire de Yourcenar par un renouvellement de l’écriture, dans les genres et les thématiques abordées. Le recours au mythe, aux codes symboliques, à une langue ornée et traditions folkloriques deviennent alors récurrents (deux extraits de Feux“Pensée” et “Phèdre ou le désespoir” à 51:10).

Dans un dialogue tacite avec le Paul Valéry des Choses tues, Yourcenar milite pour la description d'un chemin intérieur à partir des émotions traduites par un style expressionniste (triomphe des sens, profusion des images...). Yourcenar s'intéresse également à la théorie de Young selon laquelle l'inconscient individuel n'est qu'une modalité de l'inconscient collectif. Cherchant toujours à échapper au dualisme chrétien, elle explore alors, dans les Nouvelles orientales, les liens entre érotisme et dévotion, ou encore les postures taoïstes (fin de la nouvelle Comment Wang-Fô fut sauvé à 1:06:00).

Période de la maturité - L'Histoire comme révélateur

Dans cette dernière période, la fiction historique s'impose comme la forme idéale pour traduire le cheminement intérieur de l'individu. C'est la période des grands romans, les Mémoires d’Hadrien, Un homme obscur, L’œuvre au noir. Pour Yourcenar, l'Histoire n’est pas une machine à effacer les trajectoires individuelles au profit d’une vérité totalitaire, mais au contraire le moyen de souligner les destins individuels. Les Mémoires d’Hadrien inscrit ainsi la vie d’un prince dans une époque charnière (deux extraits des Mémoires d'Hadrien à 1:15:00).

> Pour aller plus loin : la revue Le Débat a consacré, en 2011, un excellent numéro aux liens entre Histoire et fiction. Il est disponible sur Cairn.info en suivant ce lien : https://www.cairn.info/revue-le-debat-2011-3.htm

A la fin d'une vie consacrée à l'exploration des différentes formes de l'écriture de soi, Yourcenar engage, avec Le labyrinthe du monde, un délicat passage vers l'autobiographie, revenant à l’étonnement philosophique face à “l’être que j’appelle moi” à travers une interrogation renouvelée sur le temps et l’éternité (deux extraits d'Archive du nord et de Quoi l’éternité à 1:28:00).

Marion Messador

Références des textes lus


1. Final d'Alexis ou le traité du vain combat

2. « Pensées » (1ère série), de Feux

3. « Phèdre ou le désespoir », de Feux

4. Extrait de Comment Wang-Fô fut sauvé

5. Extrait des Mémoires d'Hadrien (section « Disciplina Augusta »)

6. Final des Mémoires d'Hadrien

7. Extrait d'Archives du Nord

8. Extrait de Quoi ? L'Éternité