La Chanson de Roland

« Roland est preux et Olivier est sage »

Textes lus par Julien Tiphaine (Théâtre National Populaire, Villeurbanne)
et commentés par Michel Zink (Collège de France)

Ecole Normale Supérieure Ulm - 2016/2017
Conférence organisée par Adèle Payen de la Garanderie et Guillaume Frecaut

Illustration : Détail d'une miniature de la bataille de Roncevaux, Les Grandes chroniques de France (Royal 16 G VI, f.178), entre 1332 et 1350, British Library : https://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/ILLUMIN.ASP?Size=mid&IllID=43953

Lien Savoirs : http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=2683

Présentation de la conférence


Que s’est-il passé le 15 août 778 à Roncevaux, alors que l’armée de Charlemagne quittait l’Espagne pour rentrer en France ? Qui est donc ce Roland dont aucun auteur ne parle sinon Eginhard, l’historien de Charlemagne, dans une fugitive mention bien moins laudative que celle de ses compagnons morts, Anselme, comte du Palais, et Eggihard, le sénéchal ?

La genèse de la Chanson de Roland, rapportée dans un manuscrit d’Oxford daté du XIe siècle, est entourée de mystère. Michel Zink commence par présenter (du début à 12:51) toutes les questions suscitées par cette chanson de geste paradoxale : récit d’une défaite et d’un martyre, elle constitue pourtant l’un des premiers piliers de notre littérature – tout juste apparue au IXe siècle – et de notre conscience nationale. Explorant le « silence des siècles » évoqué par Joseph Bédier, Michel Zink expose les débats poétiques et idéologiques qu’a entraînés la Chanson de Roland, histoire sans preuve d’un héros inconnu, rapportée par un auteur tout aussi incertain, surnommé Turoldus.

Autant d’incertitudes n’empêchèrent pas la Chanson de s’ancrer dans les mémoires et de circuler, de siècle en siècle. En fait, la figure originale de ce héros sacrificiel, les combats acharnés des Francs contre les Sarrasins, acquièrent une poéticité exceptionnelle grâce au travail de mise en vers : le rythme des laisses décasyllabiques et mono-assonancées est hypnotique, le langage est simple mais envoûtant, et Julien Tiphaine nous le donne à entendre de façon virtuose au cours de quelques passages lus en Ancien Français (la première laisse, de 12:52 à 13:32, les combats, à partir de 59:34, la mort de Roland, à partir de 01:09:30). La force émotionnelle de la Chanson est surprenante aussi parce qu’elle est véhiculée par un système de valeurs totalement différent du nôtre : Charlemagne sait, suite à un rêve prémonitoire, que Roland va mourir, mais il l’envoie tout de même à l’arrière-garde, parce que c’est là la volonté de ses conseillers (texte 6 de 52:25 à 55:37) ; Roland n’est pas sage, contrairement à Olivier, mais il meurt en martyr et c’est à lui que Dieu envoie l’ange Gabriel (mort de Roland de 01:09:30 à 01:11:52).

Les personnages de la Chanson de Roland sont d’une complexité bien plus grande que ce l’on  imagine souvent lorsque l’on pense à la littérature médiévale. S’il ne s’agit évidemment pas d’un roman psychologique, on ne saurait pour autant réduire les personnages de Roland ou de Ganelon aux archétypes auxquels ils ont ensuite donné naissance, celui du traître et celui du héros. Ganelon trahit moins Charlemagne qu’il ne se venge de Roland qui l’avait humilié, et cette vengeance, comme l’explique Michel Zink, est « un pari sur le caractère [entêté et fier] de Roland » : Ganelon sait que Roland refusera d’appeler à l’aide et se fera massacrer avec tous ses hommes (écouter la désignation de Ganelon comme ambassadeur de 25:46 à 32: 45, sa discussion avec Blancandrin de 40:36 à 42:45, sa trahison effective de 43:37 à 48:57). Quant à Roland, sa fierté et son arrogance étonnent et contrastent avec la sagesse de son ami inséparable, Olivier (dispute entre les deux amis à partir de 59:34), qui lui recommande de sonner le cor dès les premiers assauts. « Roland à Roncevaux sonne du cor pour appeler Charlemagne. C’est inutile. Il le sait. L’empereur arrivera trop tard. Son ami Olivier est mort, l’archevêque Turpin sera mort, eux qui sont avec lui les seuls des douze pairs à survivre encore. Toute l’arrière-garde, dont l’empereur lui avait confié le commandement, a été massacrée. Lui-même va mourir, non des blessures qu’il a reçues, mais de celles qu’il s’inflige à lui-même en sonnant de ce cor jusqu’à ce que les veines se rompent. Il va mourir le dernier et seul1. » Mais vainqueur. Roland aura été jusqu’au bout du défi lancé par Ganelon et, seul, il aura sauvé l’honneur des Francs. Laissez-vous conter la formidable épopée de ces douze pairs de France, si humains qu’ils nous touchent encore aujourd’hui.

Adèle Payen de la Garanderie


1 Michel Zink, Bienvenue au Moyen-Âge, Paris, Edition des Equateurs / France Inter, 2015, p.33

Références des textes lus


1. Lecture de la 1ère laisse en Ancien Français

2. Le début de la Chanson de Roland et la ruse de Marsile (la 1ère trahison)

3. La désignation de Ganelon comme ambassadeur

4. Blancandrin et Ganelon jurent de se venger de Roland

5. La trahison effective de Ganelon

6. La désignation de Roland à l’arrière-garde

7. Le désespoir de Roland voyant ses amis morts (lecture en Ancien Français puis en Français moderne)

8. La dispute entre Olivier et Roland ; Roland sonne l’olifant

9. La mort de Roland (lecture en Ancien Français puis en Français moderne)