Flaubert

Textes lus par Grégoire Baujat
et commentés par Jacques Neefs (Paris VIII)

Ecole Normale Supérieure Ulm - 2013/2014
Conférence organisée par Delphine Meunier, Béatrice Devevey et Anne Duguet

Illustration : Pasha grasping a sword at his hip with both hands, from the series 'Caravan of the Sultan to Mecca' (Caravane du Sultan à la Mecque), Joseph Marie Vien, 1748, Metropolitan Museum of Art (New York) : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/399188

Lien Savoirs : http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=1482

 

Présentation de la conférence


Le 7 avril 1861, les Goncourt rapportent une conversation avec Flaubert : « [Il] nous parle de sa manie de jouer et de déclamer avec fureur son roman à mesure qu’il écrit, s’égosillant tant qu’il épuise de pleines cruches d’eau […] si bien qu’un jour […] il eut peur d’être pris de crachements de sang. » Cette mise à l’épreuve orale du texte souligne l’importance qu’accorde Flaubert au rythme et à la sonorité de sa prose. Selon le professeur Jacques Neefs, cette exigence s’enracine dans la conception flaubertienne de l’œuvre moderne : reconnaître au médiocre et au laid le droit à la beauté, conception proche de celle de Baudelaire. J. Neefs souligne ainsi la « profonde humanité » qui se dégage de la prose flaubertienne, génératrice d’« un intense sentiment d’existence ». « On ne questionne jamais, pour un moment, ni ces personnes ni ces événements. On douterait plutôt de sa propre existence. » écrira Joseph Conrad.

> Pour aller plus loin, voir J. Neefs, « Flaubert, la prose « comme une peinture » », Genesis, 36 | 2013, 179-188

Partie 1 – Le travail d’écriture

> Extrait deMadame Bovary, II, 9, à 10:09.

Flaubert s’absorbe totalement dans son écriture comme il en témoigne à Louise Colet à propos de cette scène de la « baisade » de Madame Bovary : « C’est une délicieuse chose que d’écrire, de ne plus être soi […]  J’étais les chevaux, les feuilles, le vent… » (23 décembre 1853). Et, en effet, l’extraordinaire mobilité des points de vue et le rythme de sa prose confèrent un effet intense de présence. « Ce n’était plus du roman, c’était la vie même apparue », écrira Maupassant.

> Pour accéder aux brouillons de Madame Bovary

> Extrait deSalammbô, V, à 21:00.

Salammbô, publié en 1862, procède d’un immense travail de documentation de la part de l’auteur. Il inaugure, en cela, ce que Michel Foucault nomme un « fantastique de bibliothèque ». J. Neefs décrit cette œuvre comme une « fantasmagorie moderne » qui applique à l’Antiquité les procédés du roman moderne. Jamais une telle circulation imaginaire dans l’espace n’avait été permise par aucun autre art.

> Pour aller plus loin, voir R. Debray-Genette, « Flaubert : science et écriture », Littérature, n°15, 1974. pp. 41-51

>> Voir M. Foucault, « Un fantastique de bibliothèque », Cahiers Renaud Barrault, n°59, mars 1967.

 

> Extrait deL’Éducation sentimentale, II, 6, à 28:30.

L’Education sentimentale, écrite de 1862 à 1869 – chaque roman flaubertien demande environ six ou sept ans de travail – est le grand roman parisien du XIXe siècle. Il témoigne de la violente coupure qu’ont représentés la révolution de 1848 et le coup d’Etat du 2 décembre 1851, pour ce siècle. Cet extrait illustre la profondeur que Flaubert sait donner à des gestes pourtant banals.

> Pour aller plus loin, voir C. Ippolito, «La Fabrique du discours politique sur 1848 dans L’Éducation sentimentale», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation Lettres 2018 », n° 17, automne 2017

> Extrait deBouvard et Pécuchet, V, à 36:50.

Bouvard et Pécuchet, commencé en 1872 et resté inachevé en raison de la mort de l’auteur en 1880, devait n’être au départ que la préface à un Dictionnaire des idées reçues. Flaubert qualifie d’ailleurs son roman d’« encyclopédie critique en farce ». Selon J. Neefs, cet ultime roman de Flaubert est comme le retour sur toute son œuvre, avec la distance ironique propre à l’auteur.

> Pour aller plus loin, voir M. Fabre, « Bouvard et Pécuchet ou l'impuissance à problématiser », Le Télémaque, vol. n ° 24, no. 2, 2003, pp. 137-154

> Extrait de La Tentation de saint Antoine, VI, à 47:50.

La Tentation de saint Antoine (1873) est, selon les mots de J. Neefs, une « magnifique fantasmagorie quasi-théâtrale », proche de Bouvard et Pécuchet en ce qu’elle est une encyclopédie critique du christianisme. Or l’œuvre s’achève sur ce qu’on a considéré comme une prière panthéiste. Le passage lu renvoie au débat scientifique de l’époque autour de la question du vivant. Selon J. Neefs, cette prière peut être mise en parallèle avec le désir d’atteindre une prose qui soit en concurrence avec la matière elle-même. Flaubert conçoit ainsi cette exigence de style comme une nécessité éthique : « Ce qui me soutient, c’est la conviction que je suis dans le vrai, et si je suis dans le vrai, je suis dans le bien, j’accomplis un devoir, j’exécute la justice. », écrit-il à Louise Colet le 13 avril 1853.

> Pour aller plus loin, voir A. Herschberg Pierrot (dir.), Flaubert. Éthique et esthétique, Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, 240 p., 2012.

Partie 2 – Intensité et mélancolie

> Extrait deTrois Contes, « La Légende de saint Julien l’Hospitalier », II, à 56:19.

> Extrait deL’Éducation sentimentale, III, 1, à 01:08:22.

> Extrait deSalammbô, XIII, « Moloch », à 01:1 :00.

La « Légende de saint Julien l’Hospitalier », extrait d’une légende médiévale, L’Education sentimentale, avec son chapitre sur la révolution de 1848, ou encore Salammbô, récit épique des temps modernes, dépeignent des scènes de violence et de barbarie humaines, dans une prose d’une rare intensité. « Tu n’imagines pas quel fardeau c’est à porter que toute cette masse de charogneries et d’horreurs, j’en ai des fatigues réelles […] », écrit Flaubert à Feydeau le 15 septembre 1861. Mais cette violence se niche également dans la banalité du quotidien. Madame Bovary en est une illustration, tout le roman s’apparentant à une longue chute.

> Extrait deMadame Bovary, III, 5, à 01:21:20.

L’œuvre de Flaubert témoigne de cette tension entre distance ironique et empathie. L’aveuglement de Madame Bovary en est un exemple. Présent en arrière-plan dans plusieurs scènes du roman, il jaillit telle une apparition fantastique dans les épisodes de la vie commune jusqu’à la mort d’Emma. C’est ce que J. Neefs nomme la « capacité de mélancolie répandue dans l’univers de Flaubert ».

> Pour aller plus loin, voir S. Triaire, « Paysager la mélancolie : rythmes flaubertiens pour un saint », Romantisme, 2002, n°117. Paysages de la mélancolie, pp. 59-75.

> Extraits de Bouvard et Pécuchet, III, à 01:30:50 et I, à 01:37:30

Bouvard et Pécuchet est lui-même un grand roman mélancolique, philosophique et comique, selon Jacques Neefs, autour de la quête de savoirs et de vérité. La fin du chapitre I marque le début de l’amitié et du programme scientifique de ce duo. Flaubert, par sa haute conception du style et par son extrême sensibilité, semble donc avoir réussi son pari de faire du « réel écrit », en conférant une rare profondeur et une réelle intensité de présence à sa prose.

Anne-Flore Thibaut.

Références des textes lus


1. Madame Bovary, II, 9, depuis « Ils descendirent. […] » jusqu’à « […] On la regardait des fenêtres. » de 10:09 à 15:56.

2. Salammbô, V, « Tanit », depuis « Il reconnut la porte rouge à croix noire. […] » jusqu’à « […] osciller sur les lambris de grande moires lumineuses. » de 21:00 à 24:50.

3. L’Éducation sentimentale, II, 6, depuis « Frédéric allégua une affaire urgente […] » jusqu’à « […] plus qu’une chose, presque un personne. » de 28:30 à 33:10.

4. Bouvard et Pécuchet, chapitre V, depuis : « Un jour que Bouvard tâchait […] » jusqu’à : « […] son bac blanc parut. » de 36:50 à 45:30.

5. La Tentation de saint Antoine, VI, depuis p. 250 : « Un air salin le frappe aux narines. […] » jusqu’à : « […] Antoine fait le signe de croix et se remet en prières. » de 47:50 à à 52:22.

6. Trois Contes, « La Légende de saint Julien l’Hospitalier », chapitre II, depuis « Un matin d’hiver […] » jusqu’à « […] il pleura pendant longtemps » de 56:19 à 01:03:22.

7. L’Éducation sentimentale, III, 1, depuis « Ils étaient là, neuf cents hommes, entassés dans l’ordure […] » jusqu’à « […] Je suis trop sensible ! » de 01:08:22 à 01:14:00.

8. Salammbô, XIII, « Moloch », depuis « Les machines furent dressées sur la terrasse […] » jusqu’à « […] des masses d’homme, levant les bras, tombaient du haut des airs. » de 01:15:00 à 01:19:10.

9. Madame Bovary, III, 5, depuis « Puis elle s’en allait ! […] » jusqu’à « […] avec la mort dans l’âme. » de 01:21:20 à 01:25:04.

10. Madame Bovary, III, 11, « Il fut obligé de vendre l’argenterie […] » jusqu’à « […] elle devenait triste comme lui. »

11. Bouvard et Pécuchet, III, depuis « Est-il vrai que la surface de notre corps […] » jusqu’à « […] il fit un bond et disparut. » de 01:30:50 à 01:35:28.

11. Bouvard et Pécuchet, I, depuis « Bouvard n’avait quitté Paris que le surlendemain […] » jusqu’à « […] sous le clair de lune qui entrait par les fenêtres. » de 01:37:30 à la fin.