Racine

Textes lus par Marie-Armelle Deguy et Grégoire Baujat
et commentés par Patrick Dandrey (Paris IV)

Ecole Normale Supérieure Ulm - 2015/2016
Conférence organisée par Marion Bet et Guillaume Djian

Illustration : Portrait de Jean Racine, par Augustin de Saint-Aubin, 1800, Harris Brisbane Dick Fund (1917), Metropolitan Museum of Art (New York) : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/423226

Lien Savoirs : http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=2217

Présentation de la conférence


Icône et représentant parfait du classicisme français qu’il interroge et sublime à la fois, Jean Racine (1639-1699) est un dramaturge incontournable pour qui s’intéresse de près ou de loin à la tragédie, à l’échelle planétaire. Racine n’est pas un écrivain prolifique, mais un dramaturge intense, qui, dans les limites qu’il s’impose, dévoile un espace de création littéraire unique et exigeant, espace propre à déployer au mieux la puissance des mots chez le spectateur avide d’Antiquité et de ses dilemmes les plus saillants. On ne s’étonnera donc pas de voir des adaptations actuelles dans tous les théâtres du monde de Bérénice, Andromaque ou encore Phèdre.

> Pour connaître les grandes lignes de la vie de Racine et se faire une idée du caractère unique de sa poétique, voir

Grâce à Patrick Dandrey (Université Paris IV), Racine continue d’être un dramaturge actuel et presque contemporain ; ce qu’il n’a jamais cessé d’être, comme l’ont précisé avant lui Georges Poulet dans ses Etudes sur le temps humain (1949) ou Roland Barthes dans son essai Sur Racine (1963). Ce n’est pas sans audace qu’il lie Racine à Rimbaud, pour la fulgurance des deux poétiques, leur puissance et leur rigueur presque inégalées. Ils ont aussi en commun l’audace de proposer des sujets uniques et problématiques, sources de jaillissement poétique inespéré, comme dans cet extrait de Phèdre où s’impose une double tension entre plaisir et crainte, face à l’interdit d’un amour incestueux (l’aveu à Oenone, Phèdre, I, 3, 1:08:05 à 1:10:12).

Entre la rigueur rhétorique et l’emportement passionné, Racine crée ce que Patrick Dandrey appelle « une stabilité fondée sur des déséquilibres multiples ».

> Voir cet article de la revue Coulisses qui rappelle l’importante émotion qui se dégage du parangon du classicisme français 

La noble simplicité (qui est tout sauf simple à écrire) cache une terrible complexité, entre rigueur et désordre. Elle est évidente dans un passage comme celui de Phèdre, II, 5 (1:14:41 à 1:17:15), où l’héroïne mêle deux visages en un seul amoureux, et où l’entremêlement n’est visible que grâce à une langue parfaite. Cette dualité du texte, présente dans chaque œuvre de Racine, ne peut être clairement comprise que si l’on n’oublie pas l’aspect classique de son idiolecte, comme en atteste ce passage d’Andromaque, I, 2 (23:38 à 25:57), irréprochable d’un point de vue rhétorique.

> Pour une analyse des passages rhétoriques de cette tirade, voir

C’est en parallèle de cet extrait que la lecture de la scène 8 de l’acte III d’Andromaque fait ressortir cette double tension entre passion et raison du texte même (33:43 à 35:23).

Le théâtre racinien pose pour la première fois de façon claire la question suivante : lire ou dire ? Une poéticité appuyée et unique fait de chaque mise en scène une « incarnaction » : un texte qui se lit sur scène, une rhétorique qui devient du théâtre à travers de la poésie, voilà le défi racinien qu’il illustre dans ce dernier extrait d’Andromaque,I, 4 (43:00 à  44:46). Passions contre devoir prennent place dans un cadre antique revisité et sublimé par une langue impeccable, qui mêle le verbe comme dans un tribunal tout en n’omettant pas ses vertus poétiques extatiques. L’extrait de Britannicus, II, 2 (50:51 à 52:40)donne à voir cet ancrage du texte dans deux espaces : la réalité du monde et de la scène, et l’aspect onirique d’une image que le fulgurant verbe racinien fait exister et vivre sur scène, créant alors un « triple ravissement » dans toutes ses acceptions. Voir et dire s’entremêlent sur scène, accroissent la portée de l’espace théâtral avec de simples mots, comme en témoigne cet autre extrait de Britannicus, II, 3 (1:00:04 à 1:02:20).

Ce qu’il faut absolument retenir de l’expérience racinienne, c’est qu’en croyant faire simple avec des sujets puisés dans l’Antiquité, ce poète majeur de la langue française a fait de cette dernière un personnage mobile, en chair et en os, capable de porter les personnages. Grâce à l’éclosion d’une langue devenue vivante et autonome, Racine a réussi à atteindre ce qu’il y a de plus essentiel et de plus intemporel dans le cœur humain, ce qui nous interpelle toujours aujourd’hui en tant qu’être humain doué de sensibilité.

> Sur l’aspect performatif de la langue racinienne, voir cet article de R. Goodkin 

> Sur la difficulté pour un acteur de « jouer Racine », voir cet article de P. Larthomas 

Victor Malzac.

Références des textes lus


1. Racine rhétoricien : Andromaque, I,2 (23:38 à 25:57)

2. Racine passionné : Andromaque, III, 8 (33:43 à 35:23)

3. Plaider sa cause à travers la poésie : Andromaque,I, 4 (43:00 à  44:46)

4. Ravissement, rêve et réalité : Britannicus, II, 2 (50:51 à 52:40)

5. Voir et dire : Britannicus, II, 3 (1:00:04 à 1:02:20)

6. L’aveu à Oenone, Phèdre, I, 3 (1:08:05 à 1:10:12)

7. Deux visages pour un seul : Phèdre, II, 5 (1:14:41 à 1:17:15)