François Rabelais

Textes lus par David Schwaeger
et commentés par Isabelle Pantin (ENS) et Alice Vintenon (Paris X - Nanterre)

Ecole Normale Supérieure Ulm - 2012
Conférence organisée par Anne Duguet et Delphine Meunier

Illustration : Maître Janotus demande à Gargantua les cloches (Meester Janotus vraagt Gargantua om de klokken), Pieter Tanjé, after Louis Fabritius Dubourg, 1716 - 1761, Rijksmuseum (Amsterdam) : http://hdl.handle.net/10934/RM0001.COLLECT.182603

Lien Savoirs : http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=791

Présentation de la conférence


François Rabelais (1483/1494-1553), cet « exotique familier » et « jovial inquiétant » selon les termes d’Isabelle Pantin, fut à la fois moine, médecin et enfin secrétaire au service des du Bellay, acteurs de premier plan dans la politique de François Ier. Il s’inscrit dans le courant humaniste (de l’italien « umanista », le professeur qui enseigne les humanités), mouvement de pensée né en Italie au XVe siècle, caractérisé par un retour aux textes antiques et par une foi dans l’être humain, placé au centre de la réflexion.

Rabelais conquiert un large public avec ses « joyeusetés ». Son roman Pantagruel, publié en 1532, à Lyon, est le point de départ d’un cycle parodiant les romans de chevalerie. Cet ouvrage se présente comme la geste du prétendu fils du géant Gargantua, héros folklorique de l’imagerie médiévale. Il est suivi en 1534, de la publication de Gargantua, père de Pantagruel. Puis Pantagruel revient avec ses compagnons, frère Jean et Panurge dans le Tiers Livre avant de s’engager dans un périple sur des îles peuplées d’étranges créatures dans le Quart Livre, dernier livre attribué dans sa totalité, avec certitude, à Rabelais. En 1543, la faculté théologique de Paris condamne systématiquement tous les ouvrages de Rabelais pour obscénité, impertinence et impiété. Bien qu’on ne perçoive plus nécessairement le caractère provocateur que ses ouvrages pouvaient avoir aux yeux d’un lecteur de l’époque, la force du texte rabelaisien demeure pour le lecteur d’aujourd’hui.

> Voir la définition de l’humanisme sur le site :  http://www.histophilo.com/humanisme_de_la_renaissance.php

Partie 1 - Les Prologues : une invitation à une lecture allégorique ?

Rabelais, à travers la voix du narrateur Alcofribas, interpelle ses lecteurs comme des compagnons de beuverie tout en les invitant lire au-delà de la lettre du texte. Mais « faut-il prendre au sérieux les invitations à une lecture allégorique du livre, mises dans la bouche d’un narrateur facétieux (et souvent ivre !), dans un livre qui se présente comme une fantaisie ? » s’interroge Alice Vintenon (« Avis aux lecteurs » de Gargantua en ouverturePrologue du Quart Livre à 0:52 ; Prologue de Pantagruel à 2:28 ; Prologue de Gargantua à 17:46).

> Voir l'article de M. Jeanneret, « « Amis lecteurs ». Rabelais, interprétation et éthique », in Poétique, 2010/4 (n° 164), p. 419-431 : https://www.cairn.info/revue-poetique-2010-4-page-419.htm

Partie 2 - Les aventures des géants : une parodie des romans de chevalerie

Rabelais parodie les topoï du roman chevaleresque, en dotant les géants d’une généalogie qui rappelle les généalogiques bibliques et en attribuant à Gargantua une naissance fabuleuse qui rivalise avec celle des héros de mythologie (Pantagruel, Chap. I  à 24:10 ; Gargantua, Chap. VI à  31:18).

> Sur la parodie du roman chevaleresque, voir l'article de D. Desrosiers-Bonin, « Les Chroniques gargantuines et la parodie du chevaleresque », in Le roman chevaleresque tardif, Volume 32, numéro 1, printemps 1996 : https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1996-v32-n1-etudfr1081/036013ar.pdf

La reprise parodique des schèmes du roman chevaleresque se poursuit avec l’éducation des géants. Le jeune héros reçoit une formation physique et intellectuelle avant de devoir aller faire ses preuves au combat. Alice Vintenon étudie plus en détail le cas de Gargantua. Ce dernier a découvert, en conclusion d’une longue liste à dimension scatologique dont Rabelais a le secret, le meilleur « torchecul ». Son père, Grandgousier prend alors conscience de l’intelligence de son fils et décide de lui prodiguer une éducation humaniste pour faire de lui un grand savant (Gargantua, Chap. XIII à 36:30).

> Voir l’article « Rabelais et Education » In: Enfance. Henri Wallon. Ecrits et souvenirs, tome 21, n°1-2, 1968. . pp. 31-37 : https://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1968_num_21_1_2447

> Sur la dimension scatologique, lire l'article de M.Renaud, « De l’invective à la jubilation. La scatologie dans l’œuvre de Rabelais », Cahiers "Textuel", n° 4/5, 1989 : https://www.ecole-alsacienne.org/CDI/pdf/1301/130219_REN.pdf

Une fois son éducation achevée, Gargantua est prêt à s’engager dans les guerres picrocholines. Ces guerres, menées par le belliqueux Picrochole (étymologiquement « qui a la bile amère »), font écho aux conflits opposant alors Charles Quint à François Ier. Le récit de la bataille fait montre d’une précision anatomique des sévices infligés aux ennemis par Frère Jean des Entommeures, moine guerrier, incarnant une forme de piété active qui refuse toute superstition (Gargantua, Chap. XXVII à 48:19).

> Voir l'article de C. La Charité « Rabelais et l’humanisme militaire dans Gargantua », Op. Cit. « Agrégation Lettres 2018 », N° 17, automne 2017 : https://revues.univ-pau.fr/opcit/261

Une fois les guerres remportées, Gargantua fonde l’anti-abbaye de Thélème, sur le modèle de l’Utopia de Thomas More (Gargantua, Chap. LVII à 53:20). Déjà, dans Pantagruel, Rabelais parodiait les titres des ouvrages de la librairie de l’abbaye de Saint-Victor, haut-lieu de résistance scolastique à la culture humaniste (Chap. VII à 57 :56). Cependant l’humanisme de l’auteur est indissociable d’une piété sincère comme en témoigne la lettre de Pantagruel à son fils Gargantua (Pantagruel, Chap. VIII à 01:02:25).

Partie 3 - La dimension poétique de l’œuvre de Rabelais

L’œuvre de Rabelais fut souvent l’objet de lectures réductrices, ses détracteurs la résumant à la beuverie et ses partisans à la dimension sérieuse et allégorique. Mais cette œuvre possède également une dimension poétique qui se manifeste notamment à la fin de Pantagruel au travers des récits de voyages merveilleux. Le narrateur Alcofribas, oubliant ses devoirs d’historiographe, s’aventure dans la bouche du géant et y découvre tout un monde (Pantagruel, Chap. XXIII à 01:13:24).

> Voir l'article de R. Haziza, « La poétique rabelaisienne : ivresse, présence et synesthésie » : http://plh.univ-tlse2.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1317125388487

Le talent de conteur de Rabelais se manifeste notamment à travers l’histoire de Couillatris, dans le Prologue du Quart Livre (trois extraits à 01:16:56, 01:19 :40 et 01:23:36). Cette fable rustique, inspirée d’Esope, se fonde sur un jeu de mots grivois et sur un mélange des registres, pour s’achever en une farce sanglante. Mais c’est surtout dans le Quart Livre, au cours de la navigation de Pantagruel et de ses compagnons à la recherche de la Dive Bouteille, parodie du Graal, que triomphe de la verve fantastique et poétique de Rabelais, avec l’épisode des paroles gelées qui fondent à l’approche du printemps (Chap. LVI à 01:27:19). Rabelais est donc un savant qui puise sa matière dans la culture populaire pour créer un univers comique, reflet de son époque, tout en inventant une langue et une œuvre inclassables qui échappent au temps.

Anne-Flore Thibaut

Références des textes lus

  1. Gargantua, « Avis aux lecteurs » - (du début à 0:47).
  2. Quart Livre, Prologue, du début à « Tel est le vouloir du tres bon tres grand Dieu : on quel ie acquiesce : au quel ie obtempère» - (0:52 à 2:17).
  3. Pantagruel, Prologue – (2:28 à 6:22).
  4. Gargantua, Prologue, du début à « ce que par adventure cuidiez dict en gayeté de cueur » - (17:46 à 21:12).
  5. Pantagruel, Chapitre I « De l’origine et antiquité du grand Pantagruel », du début à « et par eux, Pantagruel » - (24:10 à 30:00).
  6. Gargantua, Chapitre VI « Comment Gargantua nasquit en façon bien étrange » - (31:18 à 34:58).
  7. Gargantua, Chapitre XIII « Comment Gargantua congneut l’esperit merveilleux de Gargantua à l’invention du torchecul » - (36:30 à 44:17).
  8. Gargantua, Chapitre XXVII « Comment un moine de Seuillé saulva le cloz de l’abbaye du sac des annemys », de « ce disant, mist bas son grand habit » à « cela s’entend toujours » - (48:19 à 52:07).
  9. Gargantua, Chapitre LVII « Comment estoient reiglez les Thélémites à leur manière de vivre » du début à « comme le premier de leurs nopces » – (53:20 à 56:20).
  10. Pantagruel, Chapitre VII « Comment Pantagruel vint à Paris, et des beaux livres de la bibliothèque Saint-Victor », de « Ce faict vint a Paris avecques ses gens » à la fin - (57:56 à 01:01:02).
  11. Pantagruel, Chapitre VIII « Comment Pantagruel estant à Paris receupt lettres de son pere Gargantua, et la copie dicelles » de « mais parce que selon le sage Salomon » à la fin - (01:02:25 à 01:04:30).
  12. Pantagruel, Chapitre IX « Comment Pantagruel trouva Panurge, lequel il ayma toute sa vie » - (01:05:41 à 01:11:00).
  13. Pantagruel, Chapitre XXIII Comment Pantagruel fut malade, et la façon comment il guérit, de « il vous faut entendre » à « sur le clochier de l’esglise saincte Croix » (01:13:24 à 01:15:43).
  14. Quart Livre, Prologue, de « De son temps estoit un paouvre homme » à « Vertuz de Styx » - (01:16:56 à 01:18:33).
  15. Quart Livre, Prologue, de « Ores seroit à sçavoir » à « Soys homme de bien. » - (01:19:40 à 01:22:50).
  16. Quart Livre, Prologue, de « Les francs gontiers » à « vous aultres gualliers de plat pays » - (01:23:36 à 01:26:00).
  17. Quart Livre, Chapitre LVI « Comment entre les parolles gelées Pantagruel trouva des motz de gueule », du début à « entre tous bons & ioyeulx Pantagruelistes » - (01:27:19 à 01:30:55).
  18. Gérard Oberlé, Itinéraire spiriteux, Chapitre VI – (01:31:30 à la fin).