« Ce n’est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres »
Textes lus par Chloé Ploton et Zélinda Fert (CNSAD)
et commentés par Stéphanie Genand (Université de Rouen)
École Normale Supérieure Ulm - 2017/2018
Conférence organisée par Anne Bugner et Nathanaël Travier
Illustration : Bacchanal, François Roëttiers, 1685 – 1742, Harry G. Sperling Fund (1983), Metropolitan Museum of Art (New York) : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/339728
Annonce de la conférence : http://lavoixduntexte.fr/soiree-marquis-de-sade-fevrier-2018/
Lien Savoirs : http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=3370
Présentation de la conférence
Libertin insatiable, anticlérical virulent à l’origine d’une œuvre érotique prolifique, le nom de Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814), dit « le marquis de Sade », a inlassablement été associé au scandale. Son œuvre est longtemps restée méconnue et indéniablement reléguée. Sade passe vingt-sept ans en prison sur les soixante-quatorze années de sa vie et il meurt dans l’indifférence générale à l’asile psychiatrique de Charenton sans que ses dernières volontés ne soit respectées (lecture de son testament de 19:23 à 21:11). Dans les années 1930, il inspire à des psychiatres autrichiens la fondation du concept de « sadisme ».
Stéphanie Genand redonne voix à l’œuvre de Sade qui, traversé par l’angoisse de n’être pas entendu, a lui-même sans cesse essayé de se réhabiliter. Elle montre que si son œuvre a été abondamment commentée, elle a suscité les lectures les plus contradictoires. Si d’un côté, Sade est présenté comme le théoricien précurseur de l’univers concentrationnaire voire du fascisme, de l’autre, il est perçu comme le grand libérateur de l’humanité. La renommée de ses textes les plus cruels a complètement occulté la diversité de son corpus : auteur de contes et philosophe du genre humain, Sade s’est aussi rêvé en homme de théâtre, écrivant et mettant en scène une œuvre comique restée aujourd’hui inconnue du public.
S’il prône le libertinage sans concessions, c’est qu’il constate que le monde est corrompu et que les justes ne sont jamais récompensés (lecture de son autoportrait à 20 ans de 31:56 à 34:18). Son œuvre peint ainsi des personnages qui choisissent ou bien de faire prospérer le vice jusqu’à l’ennui, ou bien d’être vertueux mais de souffrir infiniment. Au-delà du Sade pornographe, Stéphanie Genand nous fait découvrir l’ambition pédagogique d’une œuvre ponctuée de dissertations sur la politique ou de considérations sur le monde animal. Sa misogynie récurrente cache aussi une fascination pour le mystère du corps féminin. 250 ans avant Simone de Beauvoir, son œuvre a vocation à expliquer aux jeunes femmes la sexualité et l’anatomie féminine à une époque où elle était tue (lecture de La Philosophie dans le boudoir de 47:56 à 52:51).
Athée convaincu, il ne croit pas en l’âme et pense que Dieu est une chimère inventée par l’homme pour se rassurer. C’est pourquoi il prône d’accepter de vivre sans conventions et sans préjugés, de la manière la plus intense possible. La conférence s’achève sur un portrait de Sade, grand théoricien de la fiction et de l’art. A travers la lecture d’un extrait de la préface des Crimes de l’amour (de 1:10 :47 à 1:14:08), Sade se révèle en penseur de ce que doit être un bon récit et de ce que doivent être ses effets sur le lecteur. Il exige de nous montrer la vérité de l’Homme : elle est toujours débordement, transgression, et suppose que l’on accepte sa part de noir (lecture de Justine ou les malheurs de la vertu de 1:18:04 à 1:25:11) et son potentiel comique (lecture du conte Il y a place pour deux de 1:32:50 à 1:37:22).
Julie Lenouvel
Références des textes lus
1. Sade, l'homme de l'ombre (Testament du Marquis de Sade)
2. Le libertin mélancolique : autoportrait à 20 ans (Lettre du 12 août 1760)
3. Les mystères du féminin (extrait de La philosophie dans le boudoir)
4. Puissances de la fiction (extrait de Idée sur les romans)
5. L'anthropologie du mal (extrait de Justine ou les malheurs de la vertu)
6. Paysages de l'effroi (extrait de Les Cent-vingt journées de Sodome)
7. Les vertus du comique (extrait du conte Il y a place pour deux)